ARKEMA MONT, un procédé unique au monde
Ou : le CCl4, la couche d’ozone et la pollution de l’eau
Article mis en ligne le 28 février 2014
dernière modification le 5 avril 2022

Communiqué de presse du 24 septembre 2013

On peut dire que l’un des plus gros problèmes environnementaux qui se pose sur le complexe de Lacq est celui du CCl4 ou tétrachlorure de carbone.

CCl4 3 lettres et un chiffre pour désigner un composé chimique chloré. Dans son unité Lactame, ARKEMA Mont utilise le CCl4 comme solvant. Dans les rapports présentés au CODERST il est noté, qu’ « il n’existe pas d’autres installations utilisant ce type de procédé dans le monde » Nous pourrions presque en être fiers. Sauf que deux lignes plus loin nous apprenons que cette substance est règlementée de par ses effets sur la couche d’ozone (elle participe à hauteur de 8% à la destruction de celle-ci) et de par ses risques sanitaires (le CCl4 étant classé CMR 2 potentiellement Cancérogène-Mutagène et Reprotoxique) [1].

ARKEMA Mont a de gros problèmes avec ce solvant. Problèmes que l’entreprise ne révèlera pas toujours dans les délais (émission de CCl4 dans l’air) ou pour lesquels elle utilisera, pour les eaux souterraines, une méthode d’analyse dont « le seuil de quantification est supérieur aux valeurs de référence des eaux de consommation ».

L’opacité

Avant d’aborder les aspects techniques, nous devons dénoncer la confidentialité et l’opacité entretenues autour de ce dossier qui sont difficilement acceptables. En effet, le droit à l’information environnementale est un des droits fondamentaux qui est inscrit dans la Charte de l’environnement adossée à la Constitution et dans le Code de l’environnement. Cette prise en compte de ce droit résulte de la ratification par la France et l’Union européenne d’une convention internationale sur ce sujet, la convention d’Aarhus, en 1998.

Or, s’il est un sujet dont on ne parle pas dans notre Béarn c’est bien celui des conséquences environnementales et sanitaires de l’activité de la zone industrielle de Lacq. C’est une véritable chape de plomb qui règne sur ce sujet. Rien n’est dit, rien ne doit être dit. Seuls quelques initiés connaissent les divers rapports, arrêtés préfectoraux et documents officiels mis en ligne sur internet.

Concernant le problème du CCl4, le rapport CODERST [2] de juillet 2013 ne figure pas sur le site des ICPE, alors que depuis 2010 tous les rapports CODERST sont mis en ligne tout au moins concernant cette entreprise. Dans ce rapport (que nous possédons), on nous parle d’une annexe confidentielle.

De plus, les différentes études, expertises ou rapports réalisés par ARKEMA ou des tiers ne sont pas accessibles pour le moment aux citoyens. Il peut être tentant pour la DREAL et ARKEMA de se réfugier derrière le secret industriel pour le justifier mais ce n’est pas crédible car l’utilisation comme solvant du CCl4 ne constitue pas un enjeu concurrentiel au niveau européen ou mondial.

Ces fortes résistances en matière de transparence et de diffusion de l’information empêchent le citoyen de connaître et juger des décisions qui auront non seulement des conséquences sur son environnement et vraisemblablement sur sa santé mais également sur les générations à venir. Comment évaluer en connaissance de cause la pertinence et l’efficacité des mesures envisagées par la DREAL et ARKEMA pour résoudre les problèmes liés au CC14 ?

Nous devons donc nous contenter de nous interroger à partir des seules informations actuellement disponibles.

Dates et chiffres

Nous rapporterons ici uniquement les chiffres et mesures donnés dans la fiche BASOL [3] et les documents présentés en CODERST, en SPPPI [4] ou mis en ligne sur le site des ICPE.

Le CCl4 et l’eau

Dans la fiche BASOL, on peut lire que les valeurs de référence pour le CCl4 dans les eaux de consommation sont de 2 microgrammes par litre et de 100 microgrammes par litre pour le chloroforme.

Pour la période 2005-2007, 50 % des résultats d’analyses, au-delà du seuil de quantification [5], sont de 300 à 2450 fois supérieurs à ces valeurs de référence.

Dans les années 2009/2010, sur une partie du site d’ARKEMA on retrouve jusqu’à 130 000 microgramme par litre de CCl4.

En 2011, hors site, lors d’une campagne de prélèvement dans les eaux superficielles il a été relevé de fortes concentrations de CCl4.

Suite à ces campagnes de mesure, un arrêté de restriction d’usage a été pris par la mairie de Mont le 2 mars 2012 afin d’interdire la consommation mais aussi l’utilisation domestique (arrosage et lavage des fruits et légumes cultivés) des eaux souterraines.

Aujourd’hui, plus de 20 ans après la détection du problème, ARKEMA essaie de diminuer entre autres le taux de CCl4 dans les eaux souterraines par un nouveau procédé qui consiste à injecter des produits réducteurs et fibres végétales dans la nappe.

Où en sommes-nous par rapport à ce nouveau procédé ? Nous ne le savons actuellement pas. Si nous avons bien compris, il est expérimenté sur le site d’ARKEMA Mont. C’est encore un procédé pilote... Nous en connaîtrons les résultats plus tard.

Le CCl4 et la couche d’ozone

Le CCl4 est réglementé par le protocole de Montréal. Cet accord international a été signé par 24 pays et par la Communauté Économique Européenne en septembre 1987. Il a pour but de réduire de moitié les substances qui appauvrissent la couche d’ozone.

Depuis 2010, la Commission européenne alloue annuellement à ARKEMA Mont un quota de consommation et un quota d’émissions de CCl4. Nous ne connaissons pas la teneur de ces quotas car ils sont définis dans une annexe confidentielle de la décision européenne.

Par contre nous savons que le protocole de Montréal alloue à l’ensemble de l’Union Européenne un niveau maximal d’émissions de CCl4 égal à 17 tonnes. Nous savons également que l’arrêté préfectoral du 05/11/2010 autorise ARKEMA Mont à émettre 0,1kg/h (dans l’hypothèse d’un fonctionnement continu sur l’année).

Au mois de mars 2012 ARKEMA Mont porte à la connaissance des autorités les dysfonctionnements techniques qui ont conduit à des rejets très importants et de façon intermittente de CCl4 dans l’atmosphère. Le document CODERTS du 18 juillet 2013 rapporte que l’entreprise a rejeté en 2011 118 tonnes de CCl4 entre les émissions canalisées (98 tonnes) et les émissions diffuses (estimées à 20 tonnes).

Nous sommes loin des 17 tonnes allouées à l’Union Européenne pour l’ensemble de son territoire.

L’exploitant a fait l’objet de trois arrêtés préfectoraux de mise en demeure durant l’année 2012 lui prescrivant de réaliser et soumettre à tierce expertise des études visant à déterminer les solutions permettant de réduire ses émissions de CCl4.

Après plusieurs échanges entre l’administration et l’exploitant, le programme d’actions proposé permet seulement d’envisager de limiter les émissions annuelles à 13 tonnes par an, les émissions diffuses en constituant la part prépondérante (11 t).

Le 12 août 2013 un nouvel arrêté préfectoral vient entériner ces éléments.

Il reconnaît qu’il y a eu 98 tonnes rejetées de CCl4 par ARKEMA Mont pour l’année 2011.

Il prescrit la mise en œuvre des dispositifs de réduction des émissions indiqués dans les différentes études et expertises, ainsi que la mise en place de dispositifs et mesures de suivi des émissions.

Et il prévoit l’abrogation des valeurs limites de rejets pour les COV R40 [6] (dont fait partie le CCl4) auxquelles était soumis l’exploitant.
Entre l’arrêté de 2010 et celui d’août 2013 on passe de 0,8 tonne à un chiffre encore inconnu mais qui s’alignerait sur les 13 tonnes de rejets en cours en 2013. C’est de la déréglementation. Le fait prime le droit !

À moins d’une révision des quotas par l’Europe, à moins d’une acceptation par les autres pays membres d’autoriser la France à émettre dans l’atmosphère 13 tonnes par an de CCl4 pour la seule entreprise d’ARKEMA Mont sur 17 tonnes autorisées pour l’ensemble de l’Europe, on voit mal comment se sortir de cette problématique et du risque de contentieux européen.

À l’heure où l’on sait que la reconversion écologique, y compris pour l’industrie chimique est une nécessité, on nous dit que la remise en question de ce procédé industriel vieux de 50 ans et ayant de tels impacts environnementaux est inenvisageable.

Tout cela nous laisse dubitatifs.

Nous sommes ici face à un problème qui engage les générations à venir.

Voir en ligne :

Reporterre : "En France, Arkema a émis quatre fois plus d’un tueur d’ozone que ce qui est autorisé pour toute l’Europe"