A l’origine, le terme de saligue, en occitan local, désigne le boisement humide des bords du Gave de Pau où abondent les saules. Par extension, il caractérise aujourd’hui l’ensemble de la zone de divagation du Gave, constituée de bancs de graviers, chenaux, bras secondaires, fourrés et boisements inondables.
Le lac d’Artix et les saligues sont situés dans les Pyrénées Atlantiques. Ils occupent, de Lescar à Artix, une zone de 15 km de long sur 400 à 800 m de large, constituant ainsi la plus vaste mais aussi la dernière zone humide pour les migrateurs avant le franchissement de la chaîne pyrénéenne. Le lac d’Artix résulte de la construction, en 1957, d’un barrage sur le Gave destiné au refroidissement d’une centrale thermique. Au fils des ans, le lac s’est en parti comblé sous l’effet des violentes crues du Gave.
La vase, le sable et les bois charriés par les eaux se sont déposés, rehaussant le fond sur 40 ha environ et formant des zones d’eaux profondes, et des hauts fonds et des îles.
Ces phénomènes ont conduit à la physionomie actuelle de « delta » où les îles, les vasières et les chenaux mêlent intimement la saligue au lac, rendant cet espace difficilement pénétrable.
Selon la profondeur de l’eau, différents types de végétation se développent, herbiers aquatiques, végétation semi-émergée et plantes comme les aulnes.
Une zone humide à protéger
La grande diversité et l’originalité de ces milieux humides sont à l’origine d’une fréquentation remarquable par les oiseaux d’eau et cela toute l’année. Au printemps, les bois humides accueillent une héronnière importante composée d’aigrettes garzettes (30 couples), de hérons bihoreaux (130-150 couples) et de hérons garde-bœufs ont été observés aux abords des colonies, laissant peut-être entrevoir une installation prochaine…
Grèbes castagneux, canards chipeau et colvert s’y reproduisent également. Quant à la sarcelle d’hiver, elle y habite toute l’année, bien qu’aucune nichée n’ait encore pu y être découvert. Ce sont plus de 54 espèces qui se reproduisent sur le lac et les saligues. Pour certaines, comme la mouette rieuse, il s’agit du seul lieu de reproduction en Aquitaine.
En hiver, le lac et ses abords sont fréquentés par une multitude d’oiseaux. En effet, ce sont plus de 3000 oiseaux qui vivent chaque jour sur le lac.
Les anatidés sont les plus nombreux avec les canards siffleurs, souchets, pilets, les fuligules morillon et milouins notamment. Il s’y mêle quelques oies cendrées, des fuligules nyroca, les « inévitables » foulques, enfin de nombreux échassiers, bécassines et vanneaux en particulier.
La présence épisodique quoique de plus en plus fréquente du balbuzard, de la grande aigrette ou de la spatule vient encore renforcer la valeur déjà remarquable du lac d’Artix.
A l’époque des migrations, une grande variété de limicoles, petits passereaux, rapaces, grands échassiers comme la cigogne blanche et noire ou la grue cendrée, et des oiseaux peu communs pour la région comme le guêpier ou le bécasseau sanderling s’y rencontrent.
Le Gave de Pau prend sa source au cirque de Gavarnie à 2800m d’altitude, à 100 km en amont de la saligue ; son régime torrentiel est à l’origine de fortes crues de printemps dues à la fonte des neiges et aux violents orages.
Il coule sur un substrat meuble composé de galets. Son cours, ou lit mineur, très mobile, divague lors des crues importantes. Le lit majeur, qui correspond à la zone de divagation et d’inondation lors des crues, est occupé par la saligue. On y trouve de nombreux bras secondaires isolés correspondant à d’anciens cours du Gave, ainsi que des chenaux utilisés pendant les crues. Ces caractéristiques entraînent une évolution cyclique du milieu et de la végétation. Tout d’abord, le Gave dépose des bancs de graviers colonisés progressivement par la végétation ; s’installent les plantes pionnières, ensuite des fourrés de saules, aulnes, frênes, ormes et chêne.
Lors de ses divagations ; le Gave bouleverse le milieu existant en traçant un lit, créant ainsi une nouvelle dynamique de colonisation par la végétation. Ce phénomène aboutit à la juxtaposition de milieux très divers qui font la richesse écologique de la saligue.
Observer les oiseaux, la faune et la flore dans un tel site peut procurer des joies intenses, à condition d’y passer beaucoup de temps.
Saligue
Rongée de toutes parts
Autrefois, la saligue avait un rôle agricole important : c’était un lieu de pacage pour les animaux. Les paysans y menaient vaches, moutons, chevaux et porc. Les sous-bois humides étaient entretenus. Les terres environnantes, grâce aux infiltrations, avaient un haut rendement. Les coupes de bois pour l’hiver entretenaient la saligue. Le surplus de galets servait à construire les habitations…. Elle avait donc une fonction économique très importante pour les exploitations agricoles familiales riveraines. De plus, cette zone humide était un régulateur de crues. Les eaux s’y étalaient, parfois même dans les terres environnantes, perdant de la vitesse, donc leurs capacités destructrices, même si elles modifiaient le cours du Gave.
Aujourd’hui, tout est différent et bien plus alarmant. Tous les maux viennent des gravières. Elles ont chassé les paysans, détruit le milieu et modifié le lit du gave. Des millions de tonnes de galets ont été extraites, ce qui a entraîné l’abaissement de la nappe phréatique. Ainsi, les terres agricoles doivent être arrosées. Le Gave est actuellement à 5 ou 6 m sous son niveau d’origine, ce qui d’une part augmente sa vitesse d’écoulement en période de crue, avec des conséquences beaucoup plus désastreuses : affaissement des piles de pont et creusement du lit d’aval en amont.
Actuellement, pour réduire la vitesse du Gave, on construit des seuils (barrages) qui ont pour effet de remonter son niveau et donc de diminuer sa vitesse d’écoulement, en le canalisant avec des digues de pierres.
Reste le problème des terres ainsi récupérées dans la saligue : on détruit la foret naturelle, riche et diversifiée pour planter des peupliers ou semer du maïs ! Avant le remembrement de la région et surtout l’extraction du gravier dans le Gave qui a débuté vers 1955, la saligue s’étendait sur 60 km environ. Aujourd’hui, il reste 10 km passablement dégradés et 5 km vierge. Tout le reste n’est plus que peau de chagrin.
Pour beaucoup d’élus et responsables, la saligue est trop souvent considéré comme un espace improductif à mettre en valeur. Dans ce milieu qui fait pourtant partie de notre patrimoine naturel, trop peu de voix se font entendre.
Surtout pas celles des personnes qui récupèrent des terres gratuitement, ni ceux qui ont intérêt à ce que la saligue soit exploitée jusqu’au dernier mètre.
Nous luttons dans l’espoir qu’un jour on considèrera cette zone humide comme un élément vivant de notre environnement, indispensable à la faune et aux équilibres naturels du cours d’eau.
* Extrait de « l’oiseau magazine » N° 9, 4ème trimestre 1987